ASSOCIATION ABRI DE LA PROVIDENCE

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Le 115 : face cachée de l'urgence sociale

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Christèle et Eric répondent aux sollicitations d'hébergement d'urgence et guident le Samu social dans leur tournée nocturne quotidienne.

22 heures sur 24, le 115 répond au téléphone. Cinq salariés se relaient pour trouver des solutions d'hébergement d'urgence et guider les interventions du Samu social.

« Le 115, bonjour... Je peux avoir votre nom monsieur... Vous êtes où ? Vous voulez une couverture ? Le Samu social vous en apporte une d'ici 20 minutes. » Chaque jour, le 115 répond aux demandes de personnes en grande précarité. « Le matin, nous enregistrons beaucoup d'appels pour de l'hébergement. Le soir, on nous demande des couvertures, de l'eau, de la soupe et on nous réclame une nuit d'hôtel. » Les appels se suivent et ne se ressemblent pas. Ce jeudi 19 janvier, Christèle et Eric (*) se relaient au standard. Exceptionnellement, ils sont deux écoutants.

Eric dîne à son bureau. Devant lui, deux téléphones et un ordinateur sur lequel il renseigne la nature des appels, tient à jour les disponibilités d'hébergement. « Si quelqu'un souhaite passer la nuit au chaud, ce sera quasiment impossible à Angers, commente Christèle. Il reste une place au centre d'hébergement de Cholet et une chambre d'hôtel à Saumur. » Il est 20 h : les solutions s'amenuisent.

« On marche sur des oeufs »

« Où êtes-vous ? À côté de la gare de Cholet. Un instant, je contacte le centre d'hébergement. » Christèle s'entretient avec le foyer des Cordeliers. Elle signale le profil du demandeur. Un homme d'une soixantaine d'années. Suivi psychologiquement, il a été placé sous curatelle. Au téléphone, il semble agité mais n'a posé aucun problème la nuit dernière, quand il a été placé à l'hôtel par le Samu social d'Angers. « C'est un vadrouilleur. »

« Souvent, on marche sur des oeufs, témoigne Jean-François Fribault, directeur de l'Abri de la providence, responsable du 115 dans le département. Ce sont les foyers et centres d'accueil qui prennent la décision d'héberger ou non quelqu'un. Certaines personnes sont grillées. » Pour des faits de violence, une trop forte alcoolisation ou des vols. « À nous d'anticiper les risques avec les individus difficiles, sur la base des informations que nous communiquent les différents foyers. »

Le centre d'hébergement d'urgence de Cholet accepte. Mais il faut que le demandeur gagne rapidement les Cordeliers. Christèle lui indique l'itinéraire. À 9 h 30, l'homme rappelle le 115. Il a erré dans Cholet. « Je ne sais pas si le centre acceptera encore de vous loger », lui indique Christèle. Passablement éméché, l'homme s'énerve et raccroche. Peu avant 22 h, il rappelle. « Il peste. Me dit qu'il a mal au dos et s'emporte dans une diatribe politique. Des propos confus, rapporte Christèle. Tant que le foyer n'a pas dit non, je persévère. Mais je doute qu'il s'y présente. »

L'écoute

Ce soir-là, une jeune femme, demandeur d'asile anglophone, a pu être logée à l'hôtel à Angers. Un homme, signalé par le centre hospitalier d'Angers, a pu être lui aussi logé. « Le Samu social a estimé qu'ils se trouvaient en situation de vulnérabilité. » Depuis le début de la journée, les écoutants ont enregistré 74 appels. 21 personnes différentes ont appelé pour un hébergement, parfois plusieurs fois. Des demandes d'aide (couverture, soupe, eau), des communications avec le Samu social, les centres d'hébergement, la police ou la gendarmerie et de l'écoute.

« On n'est pas SOS amitié. Mais on reçoit souvent des appels de gens qui se sentent seuls, témoigne Eric. Au téléphone, on ne juge pas sur l'apparence. Ils peuvent raccrocher à tout moment. » « Beaucoup dépriment à l'autre bout du fil, précise Christèle. Des menaces de suicide. Il faut preuve de tact, temporiser. Être certain, qu'ils sont calmés et ne vont pas passer à l'acte. »

Les particuliers font parfois l'amalgame entre le 15, le 112 et le 115. « Ils veulent le Samu et sont parfois si paniqués, qu'ils n'arrivent pas à raccrocher. Nous les mettons en relation avec les secours. » Et puis il existe toutes sortes de demandes. Des jeunes alcoolisés de retour de boîte de nuit qui réclament une couverture. Une femme ou un homme viré du domicile par leur concubin. Et les inévitables canulars téléphoniques qui représentent 18 % des appels.

La nuit a été calme jeudi. Une place n'a pas été pourvue à Saumur. Les trois jours précédents, 71 demandes d'hébergement avaient été formulées et seules 39 avaient abouti.

* Les prénoms ont été changés afin de garantir l'anonymat des personnels du 115.

Antonin GALLEAU.

  Ouest-France