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Canard social

Articles Mai 2013

Jean-François Fribault : « On a toujours ramé avec l’exclusion »

Il est l’une des figures du secteur de l’exclusion en Maine-et-Loire. Président de la Fnars Pays de la Loire de 1999 à 2004, chef de service puis directeur de l’Abri de la Providence à Angers depuis 1980, Jean-François Fribault a toujours défendu la cause des plus fragiles. À quelques jours de la retraite, il livre son regard sur l’état de santé du secteur et les défis qu’il devra relever.

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Directeur de l'Abri de la Providence depuis 1990, Jean-François Fribault part en retraite à la fin du mois
(photo D. Prochasson).

Le retour d’un discours sur les pauvres

Confiture. « On a toujours ramé avec l’exclusion parce que la rue rend mal à l’aise, elle fait peur. Il y a 30 ans, l’urgence était taboue, c’était un créneau occupé par le monde caritatif. Dès le début, L’Abri de la Providence a essayé d’offrir un accueil correct à ces populations. Ce qui n’était pas très populaire : on nous a beaucoup reproché de trop bien accueillir, de donner en quelque sorte de “la confiture à des cochons”. » 

Suspicion. « Depuis quelques années, on réentend ce discours, on retombe dans la suspicion envers les pauvres. “Pour ces gens-là, il ne faut pas trop en faire” : “c’est bien d’avoir des valeurs, mais vous attirez les migrants”, nous dit-on parfois à Angers. Ce qui est faux : en 2000-2001, lorsqu’il y a eu un rythme soutenu d’arrivée de migrants, il n’y avait rien à Angers qui puisse les attirer. C’est pareil lorsqu’on parle de créer une halte de nuit, il faut qu’elle soit minimaliste. C’est une erreur : il est plus facile d’être ferme avec les gens lorsqu’ils sont bien accueillis. Et de la qualité de l’accueil dépend l’accrochage de la personne et ensuite son insertion. »

Les droits au détriment du lien

Ruptures. « La grosse demande des personnes à la rue, c’est d’avoir du lien social. Aujourd’hui, on refuse de voir cette réalité. L’un des points communs, bien souvent, des personnes en errance, c’est d’avoir connu des ruptures successives. Or, on préfère toujours situer le problème de l’errance sur le manque d’emploi et de logement. L’Abri s’est battu pour sortir de cette image. Mais aujourd’hui, on est de plus en plus en difficulté pour répondre à ces attentes de lien social qu’ont les personnes. » 

Paperasse. « Ce qui compte désormais, c’est la mise en place des droits. Les travailleurs sociaux sont englués dans la paperasse. On est devenu les champions des procédures, tout est sur la forme et non sur le fond. Est-ce qu’aujourd’hui le travail social répond aux attentes des usagers ? Pas vraiment. Pour répondre à leurs attentes, il faudrait plus de temps. Car la mise en place des droits, ce n’est que le haut de l’iceberg. »

Les défis d’avenir à relever

Urgence. « Le problème aujourd’hui, c’est qu’on ne sort pas des dispositifs d’urgence. Le droit commun a de plus en plus de mal à intégrer les publics. Il faut pour cela améliorer la fluidité entre les dispositifs d’urgence et d’insertion. Il faut également inventer des dispositifs pour permettre une plus grande diversité de l’offre d’insertion. L’urgence, on peut toujours améliorer, mais si les sorties se font au compte goutte, on ne va pas s’en sortir. »

Collaboration. « Le bon côté des crises, c’est qu’elles nous obligent à nous réinterroger. Au Pôle migrants par exemple, politiquement, c’est un secteur hyper sensible. Les changements de réglementation sont incessants et les missions des plateformes de plus en plus restreintes. Face à cela, il faut qu’on travaille mieux avec d’autres secteurs, la santé, les associations caritatives par exemple, pour que d’autres fassent ce qu’on ne peut plus faire. »

Association. « Aujourd’hui, les associations se sont tellement professionnalisées qu’elles se sont coupées des citoyens. Il faut qu’elles communiquent mieux, pour que l’usager et le grand public comprennent ce qu’elles font. Il faut aussi qu’elles se remobilisent. Beaucoup de structures ont perdu le fil : il n’y a plus grand monde dans les conseils d’administration, les directeurs prennent le pouvoir. Les associations doivent réactiver les instances avec des salariés, des bénévoles et des administrateurs. Il faut enfin qu’elles se battent contre le système des appels à projet qui excitent les rivalités. Si on est capable de se fédérer, on sera plus costaud. »

Propos recueillis par David Prochasson

En Maine-et-Loire, les sans-abris ont aussi leur place en milieu rural

C’est un dispositif unique en France. En Maine-et-Loire, le Secours Catholique et le 115 ont monté un réseau avec des communes rurales pour mieux prendre en charge des sans-abris. Objectif à terme : stabiliser les personnes qui le souhaitent dans un logement.

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Benoît Grellety, du Secours Catholique et Caroline Wallard du 115 à l'accueil rural de Saint-Lambert du Lattay (Photo D. Prochasson).

Officiellement, elle est adjointe aux affaires sociales à Saint-Lambert du Lattay. Pour les sans-abris qui passent sur cette petite commune du Maine-et-Loire, Catherine Denis est plus humblement la référente du local. Celle qui passe régulièrement les accueillir, échanger quelques mots et apporter le nécessaire de toilettes. Depuis l’ouverture d’un accueil pour sans-abris, en 2008, l’élu a pris son rôle à cœur : « On rencontre des gens de tous bords, explique-t-elle. On apprend à se connaître, c’est très riche pour nous. »

En Maine-et-Loire, le département compte 34 accueils ruraux comme celui-ci et trois accueils en périphérie d’Angers. Une simple chambre bien souvent, équipée d’une salle de bain, qui permet d’héberger les sans-abris rompus au voyage. Des personnes qui ont quitté la ville, jugée trop agressive. Des hommes et des femmes -moyenne d’âge 46 ans- qui vont et viennent, à vélo, en car, en stop, font les saisons ou cherchent simplement une halte pour la nuit.

Cet après-midi d’avril, aucun sans-abri ne s’est présenté à la mairie de Saint-Lambert du Lattay. En 2012 pourtant, le local mis à disposition par la mairie a enregistré 288 nuitées, affichant complet presque tous les soirs. Dans le département, 6000 nuitées ont été proposées à 229 personnes différentes. Signe que ces accueils ont bel et bien une raison d’être.

Améliorer l’existant

Ces lieux, historiquement liés à l’église, sont aujourd’hui le plus souvent pris en charge par les communes, esseulées dans leur gestion de l’accueil. C’est pour remédier à cette solitude qu’en 2007, le Secours Catholique a débuté un travail de partenariat avec le service 115 de l'Abri de la Providence.

« Chaque commune travaillait dans son coin. Certaines avaient un réseau organisé autour d’équipes bénévoles, d’autres faisait fonctionner le local avec une secrétaire de mairie ou un policier municipal qui donnait les clés aux gens de passage », explique Benoît Grellety, animateur au Secours Catholique. Notre objectif n’était pas de développer le réseau mais d’améliorer l’existant. Et de voir comment on pouvait aller plus loin. »

Le Secours Catholique, sensible aux problématiques des personnes sans domicile avait la capacité d’animer un réseau, le 115, qui souhaitait faire un état des lieux des hébergements du département, connaît sur le bout des doigts ces publics. Pendant six ans, les deux structures sont allées de local en local. Elles ont entretenu le lien avec les communes pour échanger sur leurs pratiques, apporter des conseils sur la durée du séjour, sur la qualité de l’accueil à proposer.

Évaluer les attentes des sans-abris

Grâce à un travail statistique, le Secours Catholique et le 115 ont pu mieux appréhender les profils de ces sans-abris qui parcourent les routes. Un long travail qui a permis de poser les bases pour désormais accompagner les sans-abris qui le souhaitent vers l’insertion. 

« Notre objectif, en lien avec les équipes de terrain, est de pouvoir se rapprocher des personnes qui passent sur le territoire pour évaluer leurs attentes », explique Caroline Wallard, du 115. Et souvent, l’attention portée à l’accueil est un facteur décisif pour accrocher les gens. « Il y a un lien entre la qualité de l’accueil et le fait que la personne prenne conscience qu’elle peut s’arrêter, poursuit Benoît Grellety. Une confiance s’établit qui permet de travailler le passage vers la stabilisation. »

La suite entre les mains de la DDCS

C’est cette phase du travail, l’insertion, que les deux structures devront désormais mettre en place. « Ça implique une articulation entre le réseau de communes et les professionnels du logement », précise Benoît Grellety. Reste à trouver les moyens pour financer le projet. Jusqu’à présent, les deux structures ont bricolé avec de rares subventions pour mener à bien ce travail.

« Si on arrête maintenant alors qu’on a établi la confiance avec les responsables des locaux, ce serait un immense gâchis », prévient Benoît Grellety. La décision repose désormais sur la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) qui devra dire si elle finance ou non le travail d’accompagnement de ces populations.

David Prochasson